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Découper des formes

FRAGMENTS

En continu...

Fragment 1

Tempête au-dedans

Cath B. (Orpierre, 9 août 2015)

Vent orage et houle jusque dans les nuages déferlants. La tempête gronde au-dedans. Écume au-dehors. Se trompe et se brise sur les lames aiguisées des abysses.
***
Le doute mûrit en toi comme le fruit vendangé trop tôt. Tombé avant d'avoir doré, il pourrit comme pour rattraper le temps passé à attendre le soleil absent, indéfiniment, vainement.
***
Graine semée en plein vent, jamais racine ne pourra atteindre son visage ingénu, virevoltant.
***
Jaune détaché suspendu détaché sur le ciel enragé.
***
Samouraï des temps nouveaux, l'enfant d'aujourd'hui naît pour mieux mourir demain, sans sursis.
***
Vent orage et houle jusque dans les nuages dissous. Vapeur de bruine. Brouillard silencieux dans le bleu bruyant des cieux apaisés. Un fil tendu entre moi et le ciel me tient en vie, malgré tout, malgré lui, malgré moi, grâce à nous.
***
La vie est une farce, je confirme. La vie est une force, j'en doute. La douleur est une forcenée, je confirme. Le bonheur est une quête, j'en doute aussi. Pour l'atteindre, il nous faut la force du forcené et en jouer la farce jusqu'à transformer la vie en un système bien huilé, inodore et indolore, qui nous pousse et nous repousse sans cesse vers le doute, toujours plus profondément ancré en un lieu confiné, qui nous pousse et nous repousse sans cesse vers le doute.
***
Bruissement de l'émoi assoupi. Vent orage et houle jusque dans les nuages épars. La tempête s'est tue au-dedans. Plume au-dehors. Je le trouve et me brise sur l'arrondi de son dos abyssal.

Fragment 2

Doigt noir grattant le blanc

Cath B. (16 mai 2015)

Même le papier doigt noir grattant le blanc
Même le papier en moi se fend
Ego mal intentionné mal engoncé
Dans cette chair trop réelle pour
Pouvoir la faire jouir même un instant.
Lent jaillissement de l'âme noire
Doigt grattant le blanc
Lent jaillissement de l'âme
En moi se fend d'un rire sale
Mal intentionné mal accordé
Dissonance fissurant le ciel
De mes émois grattant le blanc.

Fulgurance

Cath B. (non daté, quelque part entre 2008 et 2013)

Fulgurance lumineuse sanguinolente et navrante.
Fulgurance haineuse épuisante et vivante.
Fulgurance d'un regard perdu sans fin ni début, tortueux noueux nauséeux.
Fulgurance du jour, de la nuit étoilée voilée galactiquement tempérée sous une pluie fraîche qui me glace le sang.
Fulgurance sanguinolente de la chair qui s'éloigne du foyer, se consumant par épuisement, encore et encore, jusqu'à plus soif, en manque de sang, de mon sang, de ma chair et mon sang.
Pour des siècles des siècles.

Fragment 3
Fragment 4

Empreinte of love from nowhere

Cath B. (non daté, quelque part entre 2008 et 2013)

(1)

Ainsi sommes-nous. Un peu plus ou un peu moins. Un peu de trop et un peu trop peu. Addition soustraction une fraction de seconde multiplie les échos de l'électricité en moi.

Ainsi allons-nous. Un peu plus loin marche-arrière vers l'avant vers l'après vers le loin le gratté le frotté le pas à pas fractionné sans un regard en arrière passé le temps où arrivé au pied passé falaise plus loin cul-de-sac reculé marche-arrière bloqué net.

Ainsi rêvons-nous. Embués voiles toutes dehors voguons-nous tangage vaguement ourlé cri hurlement du jamais dans nos têtes.

Arrivés au quai brumes sur le pont soupiré dans la vase odeur vague ment tenace aigri rance ment ce roulis jamais dans le lit coulé brasse le temps qui passe en brasse moi ne mens plus. Sur la bouche s'il-te-plaît.

(2)

Pas un pli. Ni froissé ni plissé ni cogné ni rebuté. Pas un deux pli trois. Et puis le pli qui coince dans la porte refermée. Porte trop tôt. Coincé le pli. Sous le bourrelet de droite. Rien à faire. Ou bien l'ombre? Oui ombre interpellée pour pli décoincer forcer déchirer arracher. Rejoint par l'ombre le pli défroissé souplement la douleur en moi stigmatisée. Et l'empreinte à jamais indélébile sur mon âme de ton ombre.

 

(3)

Comment dire... (Temps mort). Non, rien. Finalement pas la peine. Juste une impression, comme ça, que si je ne dis rien... Mais non, vraiment, pas la peine. (Temps mort encore). Enfin, si! Comment te dire... (Et le temps continue à mourir, le silence à naître, prendre l'espace, annihiler les sens. Tout se distend envahit la distance qui tend à disparaître. Angoissé par le vide soudain le geste se fait mot et je sens sur ma peau la paume muette de sa main se poser, salvatrice).

 

(4)

I was just wondering... No, forget it. J'essayais juste voir si ce sentiment était partagé. Quelles frontières. Aucune en fait. Ça va, j'ai compris. Just forget it. Now and forever. Ils furent heureux et eurent beaucoup d'enfants. Dans les bouquins, juste en rêve. I miss you so much (Bordel, cette foutue langue anglaise! Partout everywhere whenever in the neverending land).

Te quiero.

La nausée

Cath B. (Stockholm, 2009)

Soulèvement brutal du haut le corps. Tressautement.

Le premier jet hors de moi brutal haut de mon corps hors de moi. Soulèvement brutal du haut le corps. Soubresaut.

Le second jet plus hors de moi violent plus brutal encore arrachée ma peau salive âcre en dedans en dehors plus encore brutal.

Soulèvement brutal du haut le corps. Retournement.

Le troisième jet fout mes tripes dans le fond de la cuvette encore plus violent acidité arrachage en bonne et crue forme arrachée ma peau salive sèche aridité dans la gorge arrachage de l'âme en bonne et crue forme arrachée hors de moi haut le corps tout est là dans le fond je pense qu'on ne peut pas aller plus haut dans le corps.

Soulèvement brutal du haut le corps. Vomissure.

A chaque nausée une image. A chaque relent un visage. A chaque fois que ma tête s'enfonce un éclair dans les yeux coup de sang froid dans le dos pas autrement.

Zapping infernal.

Entre mes dents un morceau de lardon reste coincé. Scotché aux parois de ma trachée un reste de gras ne veut plus glisser. Dans mes tripes plus de bile. Dans mon estomac plus de glaires. Nonchalamment ma merde intérieure flotte sous mes yeux, les cheveux collés aux tempes je la contemple au fond de la cuvette. Nonchalamment la merde des autres se noie dans ma cuvette.

Je tire la chasse. Insubmersible, un petit pois fait encore des ronds dans l'eau.

Fragment 5

Jazzy

Cath B. (Stockholm, 2009)

Coin jazzy. Même sans la neige la lumière reste blanche. Crudité chaude. Se perdre à gauche, se perdre à droite, se perdre devant. Envie de bouger, de parler, de mêler ma langue à celle des autres. Pourtant moins sensuelle. Ici, c'est moi qui suis l'exotique. Ici, la dureté de la langue qui claque sur le palais, le raclement qui gratte la gorge, la platitude du relief de la phrase, monocorde, monotone, se heurtent à la rondeur des voyelles, au doux roulement des fricatives et s'essoufflent en grimpant l'accent tonique qui chante.

 

En face de moi, personne. Coincée entre deux couples dont la conversation ne m'atteint pas, je baigne dans le suédois. Et Django reprend de plus belle. Lucidité soudaine. Ma peau se dilate. Ma vie se noie. Mon estomac se dénoue. La faim me quitte. Tout me touche.

Fragments 6

Insomnie

Cath B. (2009)

Pas de doute aucune certitude Rien ne fait rien n’y fait Pas de doute pas de certitude Pas de doute Rien ne fait aucun effet Rien ne fait rien à faire Rien rien rien rien rien  Mille moutons un seul rêve Rien ne fait rien n’y fait Rien à faire Rien rien rien rien rien rien Putain où vais-je Où va-t-on Où irions-nous si rien n’était Pas de doute rien à faire Rien n’y fait Pas de doute rien n’y fait Diarrhée verbe et vacuité Diarrhée verbe et vacuité Désormais le rien dans le plein Désormais le rien dans le vide Désormais rien vide et rien Vide et émotion Vacuité et verbe Vacuité et rien à faire nous sommes là pleins morts vides de sens Tout n’est rien que répétition sans fin ni soif de vivre Mille tisanes et mille moutons un seul rêve Rien n’y fait Un seul inaccessible rêve qui ne mène à rien Inextinguible inamovible et incompressible Pas de doute aucune certitude Rien ne fait rien n’y fait Asomniférique et plein de verbe Vacuité où es-tu Vacuité où es-tu Asomniférique Pas de doute aucune certitude Tout est là Tout est fait Aucun doute une seule certitude Ce soir le sommeil ne viendra pas

Fragment 7

Un foutu grain de sable

Cath B. (2008)

Un conte pour les grands enfants qui, alors qu’ils gisent tous les soirs à poils dans leur plumard, entendent malgré eux une petite voix nostalgique leur susurrer une histoire dans le creux de l’oreille pour les endormir, telle une berceuse intemporelle resurgissant de l’enfance. Magie du sommeil, magie de l’imaginaire…

 

Eugène, est-ce que tu t’es brossé les dents avant de mettre ton pyjama ? Tu sais, je te demande ça parce que je risque encore de me faire taper sur les doigts par Maman si je ne te pose pas la question. Bon, c’est pas grave, tu le feras demain matin. De toute façon, ça tiendra les loups garous et les vampires éloignés du lit. Mais oui, Lisa, je vais te donner ton doudou, y’a juste que je ne sais pas plus que toi où tu l’as mis… Quoi ? Ah oui, il se cachait encore dans la manne à linge sale. Voilà ! Ça y est ? Vous êtes bien installés ? Faites-moi donc un peu de place sous la couette. Parfait ! On y va. Vous connaissez l’histoire du vieil homme qui voulait cueillir la lune en montant sur le dos d’une bête à bon dieu ? Oui ?! Bon, tant pis. Et celle de la maison qui n’avait ni murs ni voisins ? Ah ! Je l’ai déjà racontée hier soir… Lisa, arrête d’aller dans ton nez ! Oh ! Et puis zut de zut, vous avez encore gagné. C’est d’accord, je vais vous raconter l’histoire du hamster qui rêvait de pouvoir un jour se débarrasser du foutu grain de sable qui l’empêchait de fermer l’œil la nuit. Bon, donc, comme vous le savez, quand j’étais petit, enfin, pas si petit que ça, mais petit quand même, j’avais un hamster nommé Alfred.

Fragment 8

Éloge des feuilletons sentimentaux

Cath B. (2008)

Foutoirs sans fond où pourrissent nos rêves impurs et inassouvis. Poubelles moisissantes de rancœurs putrides. Fouillis de barbelés et de cachots. Oubliettes de nos pensées. Cesser de vivre et ne respirer qu’en agonie, laissant l’air siffler à travers nos lèvres déjà bleuies. Bave qui coule sous le menton. Des poils gris sur des points de beauté devenus cratères. Ridés jusque dans le plus lucide de nos regards, nous sommes en état permanent de putréfaction. Nous l’avons toujours été. Se complaire dans des feuilletons sentimentaux, en oublier le désir de voir apparaître le sourire encore vierge d’un enfant de deux ans. Vierge pour combien de temps encore ? Déjà le « non » affleure sur ses lèvres, déjà les larmes et la frustration. Nids de fourmis vampirisées et nœuds de vipères vicieuses, lacérant les heures qui nous meurtrissent chaque instant un peu plus. Impression de mal vécu, impression de ratage sans cesse refoulé, sans cesse aveuglément obturé pour se préserver. Mais se préserver de quoi, bon dieu ? De quoi ? D’une jouissance jamais atteinte, d’un sourire crispé, d’un rire retenu, du sommeil jamais réparateur, de nos rêves perturbateurs, de ce corps jamais accepté, d’une vie de calcul. Mais qu’est-ce donc? Je ne peux croire en un théâtre où les acteurs seraient postiches, je ne peux croire en une vie de masques et de non-dits. Où es-tu, ma vie ? Derrière moi ? Devant moi ? Je ne peux croire que vivre cet instant soit ma destinée. Qu’y puis-je ? Ai-je le choix ? Notre linge se salit et se lave, imperturbablement, sans qu’on puisse y faire quoi que ce soit. Feuilletons à l’eau de rose censés donner espoir aux femmes mûres qui ne connaissent de leur mari que les sautes d’humeur et les absences. Après deux heures de détente devant le téléviseur, les voici, ces femmes, flasques et inertes dans leur divan, impuissantes face à leur vie ratée. Les feuilletons de fée sont des vendeurs de pacotille. Combien de femmes se sont-elles jetées dans les bras d’un amant après ça ? Combien de femmes n’ont-elles plus osé se regarder sans ricil ni fard dans un miroir ? Combien de femmes gênées de se montrer nues devant un homme ? Tant de femmes ignorantes de leur potentiel de jouissance physique. Tant de femmes dans l’ombre d’un mur de raison construit patiemment. Pourquoi ? Toujours se contrôler, toujours raisonner. Ne jamais se laisser submerger. Atteindre la perfection. Celle que les autres attendent, celle qu’on n’atteint jamais, celle qui nous ronge, celle qui nous forge, qui nous façonne à l’image de quelqu’un que nous ne voulons pas être et ne serons jamais.

Fragment 9
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